Un rêve de nature apparemment télépathique et précognitive pendant une psychanalyse
La Tour Saint Jacques 1955
Le lecteur trouvera ci-après un cas de phénomène «paranormal» élaboré en cours d’analyse et comparable aux nombreux cas qu’ont observés et décrits Freud, Hollos, H.Deutsch, Burlingham, Ehrenwald, Fodor, Eisenbud, Pederson-Krag, Gillespie, Rubin, moi-même et d’autres analystes (voir notes en fin d’article). L’intérêt de ce rêve me parait multiple : 1° présence d’éléments «télépathiques » et «pré cognitifs » dans le matériel analytique (un rêve); 2° le matériel lui-même ne me semble pouvoir être interprété de façon satisfaisante et pleinement justifié dans un cadre psycho dynamique, qu’à condition de tenir compte des éléments susdits; 3° le cas démontre une fois de plus que le matériel « paranormal » qui s’intègre dans une situation psychologique obéit – ainsi que Freud fut le premier à l’indiquer -aux lois et aux mécanismes du processus primaire; 4° le cas démontre l’importance capitale dans les phénomènes de cet ordre de la relation transfert-contretransfert.
Le sujet, que j’appellerai A., est un homme d’une trentaine d’années, atteint d’une névrose obsessionnelle et souffrant des séquelles d’une enfance affectivement ((aride ». Ses défenses et ses phantasmes symptomatiques consistent surtout en idées de contamination, d’infection par des « vers » et autres parasites intestinaux, de maladies vénériennes, etc. Lorsqu’il fit ce rêve, il venait de reprendre l’analyse après un intervalle d’un mois environ, dû à mes vacances. A… est dans mie phase de transfert négatif: il se plaint que l’analyste soit « détaché », « lointain », «académique» et n’aille pas au fond de ses problèmes. Jusqu’à présent, je n’ai pu l’amener à interpréter son attitude comme la reproduction inconsciente de son insatisfaction infantile vis-à-vis de son père (dont les idées et le comportement dénotent en fait un certain manque de contact avec le réel) et vis-à-vis de sa mère (qui donnait au malade sa suffisance de nourriture et de confort matériel, mais peu de chaleur affective et encore moins de compréhension).
Le rêve eut lieu dans la nuit du 27 au 28 août 1953. Le patient me le rapporta l’après-midi du 29, dans les termes suivants·:
« J’étais près de votre maison, mais ce n’était pas votre véritable maison. Elle ressemblait à une villa dons une banlieue de Californie, avec un petit jardin devant. Il me sembla que votre bonne, N…, avait posé un bol de pâtes près de la porte du jardin. J’allai chercher ce plat! j’avais faim, j’avais froid et me sentais malheureux. Je ne portais qu’un short. Tandis que je m’approchais da bol, je vis arriver une voiture. Je savais que vous et votre femme vous y trouviez. Je pris peur et me sauvai.
Le rêve alors change. J’étais a l’intérieur de la maison et voyais votre femme de dos. Il y avait trois enfants avec elle : dans l’une, je reconnus votre fille âgée de 14 ans, que f’ai vue une lois ou deux (elle était plus jolie que dons la réalité). Les autres étaient deux très folies petites filles blondes: l’une paraissait avoir 8 ans, la seconde 3 ou 4 ans.Je me sentais toujours mai heureux et abandonné, et pourtant je semblais savoir que votre famille était gentille et n’avait rien de particulier contre moi. »
Les associations formées par A…, immédiatement après qu’il m’eut rapporté son rêve, sont les suivantes·:
Pates : « Vermicelli italiens, signifiant littéralement petits vers. Depuis peu, j’évite de manger des pâtes parce qu’elles font grossir».
Villa californienne : «Une petite maison en Californie, près de la mer. Elle appartenait à mon onde E… J’y ai habité en 1931 ou 1932. C’était une maison très petite, sans aucun confort, avec une allée et venue de gens de toutes sortes. Pendant mon séjour je fus malade. Ceci me rappelle une autre maladie grave que je contractai à l’age de 3 ans et demi. Je paraissais attendre la mort avec une « résignation chrétienne» et j’étalais cette disposition devant ma mère. Une nuit, je m’éveillai angoisse, en disant que je savais que mon père voulait, me tuer».
La bonne N… : «Bien sûr, je la rencontre, chaque lois que je viens ici. C’est la première lois qu’elle s’introduit dans mes rêves. »
La femme de l’analyste : aucune association.
Les trois enfants: aucune association.
Si nous devions interpréter ce rêve dans la ligne classique, sans tenir compte de plusieurs éléments que nous citerons par la suite, il serait possible d’établir que le patient a transféré dans le cadre analytique (comprenant la famille et le milieu de l’analyste) ses tendances orales infantiles et sa souffrance d’être négligé et affectivement frustré par ses parents. Les ((parents e (dans le transfert: l’analyste et sa femme) sortent en voiture (= out des plaisirs d’ordre sexuel et autre), en laissant leur « fils» affamé, à moitié nu, traité comme un chien. Ils contrarient jusqu’aux timides essais qu’il tente pour atteindre la nourriture si discourtoisement présentée.La «mère e (la femme de l’analyste) s’occupe d’autres enfants (le patient a plusieurs frères et soeurs) et lui tourne le dos. Que peut faire un enfant? sinon être malheureux et souhaiter mourir?
On pourrait compléter cette interprétation en introduisant la relation symbolique bien connue maison femme (mère) et en indiquant que le «bol de pâtes» est très probablement une représentation symbolique du sein (dont il ne tire aucune satisfaction). Le « jardine près de la maison est naturellement une «zone» féminine où les représentations génitales et anales semblent se superposer. Dans la seconde partie du rêve, la vision de ma femme de dos peut s’interpréter comme une accusation portée contre la mère qui tourne le dos à son enfant, mais aussi comme un désir libidinal concernant son ((derrière e. Le rêve montre encore que les préoccupations du patient relatives aux vers, etc. ont, outre des implications anales évidentes, une origine orale. Ce sont, au fond, les premiers « objets incorporés e, gênants ou dangereux, mais inévitables (lait, matière fécale, etc.).
Cependant, plusieurs éléments du rêve décrit plus haut ne trouvent aucune explication. Enumérons-les : 1° le bol de pâtes (pourquoi précisément ce symbole et non pas un autre? l’association avec les «vermicelles » ne parait pas l’expliquer entièrement); 2° la petite maison avec le jardin (elle ne correspond pas à la maison de l’analyste; ce n’est pas la maison des parents de A…, et la comparaison avec une maison de Californie reste superficielle); 3° les trois enfants (l’analyste n’a qu’une flue, et les frères et soeurs du patient ne correspondent aux « images fraternelles » du rêve ni par leur nombre, ni par leur sexe, ni par leur age); 4° l’analyste, sa femme, sa bonne, etc. (dont le comportement, aussi loin que va la connaissance consciente du malade, ne ressemble pas du tout, ni ne justifie les détails du contenu manifeste du rêve).
Considérons maintenant quelques faits que le patient ignorait absolument, soit qu’il n’ait eu aucun moyen d’en avoir connaissance, soit qu’ils ne se fussent pas encore produits au moment du rêve.
1° Ainsi que je l’ai dit, lorsque A. fit ce rêve, je rentrais juste de mes vacances, passées à l’étranger avec ma femme. A. n’avait aucune raison de supposer que ma femme repartirait; moins encore, qu’elle s’était effectivement rendue au bord de la mer, où elle habitait une maison pourvue d’un petit jardin, avec noire file et deux petites nièces, blondes el très jolies, âgées l’une de 8 ans, l’autre de 3 ans et demi – exactement comme les décrivait le rêve·!
2° De retour à Rome, je dus faire face à plusieurs problèmes d’ordre prive et domestique et – puisque ma femme était repartie presque aussitôt – je n’avais personne avec qui en discuter. Ma femme travaillant au dehors dans la journée et devant suivre une routine régulière, nos relations se trouvent limitées aux heures des repas et aux heures nocturnes. Je n’aime pas prendre mes repas seul, pourtant je dus m’y résigner pendant l’absence de ma femme et de ma flue, et ne restai certainement pas indifférent au fait que durant une semaine environ ce fut une bonne qui, au lieu de ma femme, pourvut à mes besoins alimentaires, comme il lui semblait bon, me servit, et échangea avec moi quelques paroles insigniflantes au cours du déjeuner et du dîner. A cette privation particulière causée par l’absence de ma femme s’ajoutaient naturellement la frustration de mon affectivité et de mes désirs sexuels. D’une certaine façon, j’ai Pu me sentir quelque peu abandonné» et mal traité, bien que ce sentiment ne m’affectât pas de façon visible, et ne m’empèchàt pas de poursuivre mon travail quotidien.
3° Dans la soirée du 27 août, j’avais eu le plaisir d’inviter mon collègue américain, le Dr L. E… et Mme E… (qui passaient deux journées à Rome) à dîner avec moi le soir suivant. Je me réjouissais tout particulièrement de leur faire goûter un plat de pâtes célèbre dans un certain restaurant romain, internationalement renommé pour cette spécialité. Deux autres collègues de la Société Psychanalytique Italienne se joignirent à ce dîner auquel je conviais nos hôtes distingués : dîner qui, ainsi que je l’ai indiqué, fut décidée au cours de la soirée précédant la nuit du rêve (tandis que je dînais avec le Dr et Mme E… à leur hôtel). On se rappelle que le rêve de mon malade eut lieu dans la nuit du 27 au 28 août.
4° Afin d’arriver à l’heure exacte au rendez-vous pris avec le Dr E…, je dus annuler la séance de A.. qui avait été fixée au 28 août, à 20 heures. Après avoir vainement essayé par plusieurs reprises de joindre A… au téléphone, je décidai finalement, le 28 août, vers 17 heures, de faire porter chez lui un mot par ma bonne N…, lui demandant de ne pas venir à l’heure entendue. C’était la première fois, au cours de relations de deux années, que j’envoyais ma bonne au domicile de A… Dans les rêves de A…, ainsi qu’il a déjà été dit, ma bonne n’était jamais apparue précédemment. Or, elle apparut dans le rêve qu’il fit juste avant la circonstance exceptionnelle qui vient d’être relaté.
Résumons les derniers points le patient ne pouvait pas avoir connaissance a) de l’absence de ma femme; b) de son séjour au bord de la mer, dans une petite maison avec un jardin; c) du fait qu’elle y demeurait avec notre fille, plus deux fillettes respectivement âgées de 8 ans et de S ans et demi; d) de mes réactions affectives devant mon « abandon »; e) de mon offre d’un plat de pâtes à des personnes qui m’étaient chères; f) de la prochaine interférence de ma bonne dans nos relations; g) du fait que j’allais le négliger (annuler sa séance) parce que précisément je voulais offrir un plat de pâtes à d’autres personnes·!
Du point de vue parapsychologique, je serais tenté de ranger les points a), b), c), d) et e) dans la télépathie, tandis que les points f) et g) ne me semblent pas compréhensibles en termes de télépathie pure et me paraissent contenir un certain élément de «précognition». Il est naturellement possible que dans la nuit du 27 août j’aie confusément pensé a annuler la séance de A… Mais très certainement je n’avais pas pensé à le lui faire savoir par ma bonne, puisque je ne pris cette décision qu’après avoir vainement essayé de le joindre an téléphone.
Afin de voir plus clairement dans quelle mesure la reconnaissance du caractère télépathique et pré cognitif des éléments susdits du rêve de A… peut nous conduire dans le sens d’une compréhension plus complète du rêve lui-même et de sa signification dans la situation analytique, supposons un instant que les éléments énumérés ci-dessus aient été connus de A… par les voies sensorielles normales. En ce cas, la psycho-dynamique du rêve trouverait sa totale justification. Ce serait comme si le patient, sur la base, à la fois de ses impressions réelles et de la réactivation des schémas de l’enfance, se plaignait aux substituts parentaux (et tout d’abord à l’analyste) qu’il fut négligé; que le « père» (l’analyste) pensât intensément et affectueusement à la «mère» (la femme de l’analyste), et non pas à lui, le malade (à qui je n’avais envoyé que ma bonne!); que lui (le patient) reçut de la nourriture d’une façon condescendante, comme un chien, et par l’intermédiaire d’un domestique; que les « parents » l’empêchassent encore de manger, tandis que le « père » (l’analyste) s’apprêtait à offrir la mémé nourriture à des étrangers; que la «mère» (la femme de l’analyste), bien qu’elle ne le hait point, le négligeât en faveur de ses «soeurs»; etc.
Or, le fait est que A… ne savait pas tout ceci consciemment! Son inconscient parait avoir complété ses connaissances conscientes par des matériaux de nature extrasensorielle, afin de construire un rêve qui prit ainsi tout son sens.
Nous pourrions en rester là et en conclure une nouvelle fois que les rêves télépathiques et /ou pré cognitifs existent réellement, que le travail du rêve peut utiliser des informations « paranormales », exactement comme il utilise les souvenirs diurnes et d’autres matériaux perceptuels. Mais allons plus loin. La dynamique de ce rêve révèle, comme dans les cas semblables rapportés dans la littérature psychanalytique, ce que Hollos et moi-même avons appelé le démasquage par le patient da matériel psychique affectif appartenant à la psyché de l’analyste – matériel qui est, pour ainsi dire, jeté à la face de ce dernier! Sous cet angle, le rêve est un défi lancé aux efforts que tente l’analyste pour cacher, ou refouler, quelque chose qui aurait Pu paraître – ou dans une certaine mesure a réellement été – inamical ou hostile à l’égard du patient (Hollos prétend que c’est le patient qui élabore une sorte d’acte manqué « vicaire », se substituant à l’analyste et le trahissant). J’admettrai sans difficulté que, dans mon contre-transfert, des sentiments hostiles à l’égard du patient ont dû être présents. Ces sentiments, pour autant que je puisse les comprendre, tenaient tout d’abord à ce que le patient était dans une phase prolongée de résistance et contrariait pratiquement tous mes efforts pour lui faire prendre conscience des éléments de transfert inhérents à ses « attaques » et critiques continuelles à mon sujet. Mais, outre le « démasquage» de mon hostilité (considérablement exagérée à cause de ses problèmes infantiles non résolus), le patient semble avoir encore opéré le «démasquage » de certaines de mes motivations émotionnelles, particulières au moment, à savoir : mes réactions personnelles devant « l’abandon» de ma femme, mon ressentiment à être soigné par une domestique, peut-être encore une certaine déception de devoir inviter mon collègue et sa femme au restaurant, au lieu de les recevoir chez moi, et d’avoir recours à des « domestiques » pour veiller à leur bien-être au lieu que ma femme ne m’aidât à remplir cet office. Cette « complémentarité » de mes propres schémas affectifs avec ceux du malade peut être décrite comme une configuration dynamique, inconsciente, à deux (incluant des éléments de transfert et de contre-transfert, aussi bien que d’identification et de contre identification, tout à la fois normaux et paranormaux), qui, ainsi que moi-même et d’autres analystes l’avons remarqué, semblent constituer une condition très favorable à la manifestation de phénomènes psi.
Pour nous résumer, tout se passe comme si A…, dans le langage affectif de son rêve, avait dit « Ne sais-je pas que vous pensez davantage à votre femme qu’à mai? Ne sais-je pas que vous offrez des nourritures agréables à des étrangers et pas à moi? Ne sais-je pas que votre femme accorde son amour et son affection à de jeunes enfants, tandis que moi-méme n’ai pas de figure maternelle qui s’occupe, ni ne soft occupée de mai? Ne sais-je pas que vous allez négliger mes besoins, m’envoyer votre bonne, et faire semblant de « me donner quelque chose », alors qu’en réalité vous contrariez et empêchez ma « nourriture »? Ne sais-je pas que tout ceci va parallèlement à des sentiments et des réactions semblables chez vous, mais qui sont votres et ne devraient pas interférer avec mon traitement? Eh bien, oui : de mémé que j’ai ressenti les souhaits «criminels » de mon père, lorsque j’étais enfant, je puis ressentir, et décrire, dans leur détail, toutes ces informations, votre hostilité, votre négligence à mon endroit et les courants émotionnels, qui out été et sont les vôtres, bien que vous ayez essayé de me les cacher. Oui malgré vos efforts pour « me tenir a l’écart» de tout ceci Je sais!