Le conditionnement transférentiel et contre-transférentiel des événements «Psi» au cours
de l’analyse
ACTA PSYCHOTHERAPEUTICA PSYCHOSOMATICA ET ORTHOPAEDAGOGICA
International Journal of Psychotherapy, Psychosomatics, Special Education Internat.
Zeitschrift für Psychotherapie, Psychosomatik und Heilpadägogik Journal Internat. de
Psychothérapie, Psychosomatique, Education Spéciale
Supplementum vol.3 1955
Les travaux de Freud (1932), Hollos (1933) et Servadio (1935) avant la dernière guerre, et ceux, entre autres, et plus récents, d’Eisenbud (1946, 1947, 1948), Ehrenwald (1944, 1948, 1950, 1954), Pederson-Krag (1947), Gillespie (1953) et Rubin (1953), ont démontré – à mon avis d’une façon irréfutable – qu’au cours de la situation analytique peuvent se produire des manifestations appartenant au domaine de la parapsychologie: c’est-à-dire, plus brièvement, des phénomènes « psi ». Il s’agit surtout, parait-il, de «rencontres» télépathiques – bien que quelques analystes (Eisenbud, Servadio) aient cru pouvoir montrer que pendant l’analyse, des phénomènes d’ordre précognitifs peuvent aussi avoir lieu.
Il me semble que ce qui peut surtout bus intéresser à l’heure actuelle, ce n’est pas de constater à l’infini que de telles manifestations ont effectivement lieu, mais bien d’étudier comment et pourquoi elles se produisent: c’est-à-dire, quel est leur « sens » dans les coordonnées du rapport analytique. Depuis les observations faites par Freud en 1932, jusqu’aux rapports plus récents d’Ehrenwald (1954), on a Pu constater que si l’on ne se limite pas à la vérification pure et simple des faits, on trouve que tel ou tel phénomène « psi », tout étranger à la situation analytique qu’il puisse paraître au premier abord, est en réalité conditionné par la situation elle-même, et se déroule dans le cadre d’un rapport de transfert et de contre-transfert.
Prenons comme exemple cas décrit par Freud en 1932, dans le 2° chapitre (30° lecon) de son livre Neue Fotge der Vorlesuflgen zur Ejnführug in die psychoanalyse. Son client P., qui était vis-à-vis de Freud en une situation indiquée par Freud lui-même comme « un transfert paternel bien tempéré » parait avoir perçu par le moyen de la télépathie le fait que Freud avait détourné partiellement son intérêt de lui, et qu’il s’occupait beaucoup d’un nouveau client venu d’Angleterre. Voici déjà une situation de transfert et de contre transfert, se déroulant toutefois, dans la description de Freud, sur un plan assez superficiel. Freud ne nous dit pas si l’analyse de cette situation, et du phénomène de « rencontre » apparemment télépathique à laquelle elle a donné lieu, a été poussé0 en profonde’`
Tout porte à croire que non. Il paraît néanmoins légitime d’y voir, au-delà des éléments actuels décrits par Freud, la répétiti01 d’une situation familiale d’enfance, active à nouveau chez le patient et chez l’analyste lui-même. D’après ce que Freud nous dit, une des raisons qui avaient causé des difficultés psycho-sexuelles et un sentiment d’infériorité chez Monsieur P. parait avoir été l’impression qu’on ne l’avait pas suffisamment aimé et apprécié dans son enfance, ce qui s’accompagne presque· fatalement chez l’enfant à l’idée que ses parents lui préfèrent ses frères ou ses sceurs. Ces circonstances nous illuminent à m on avis sur le fait qu’à un certain moment, Monsieur P. demande à Freud des informations au sujet de sa fille Anna, en faisant une sorte de confusion entre Anna Freud, une dame Freud-Ottorego qui faisait des leçons d’anglais à l’Université populaire, et le nom d’Anton von Freund qui avait financié l’Internationaler Psychoanalytischer Verlag et qui habitait dans la même maison du patient. Freud ne paraît donner aucune importance (ce qui est à mon avis très remarquable) au fait que son client avait évoqué précisément la perso ne qui comptait le plus pour Freud lui qui au point de vue paternel c’est-à-dire sa fille bien-aimée. En ce qui concerne la part qu’ont pu avoir dans ce cas les éléments émotionnels appartenant à l’enfance de Freud, je me bornerai à observer que les données biographiques dont nous disposons aujourd’hui (lettres de Freud à Fliess, premier volume de la grande biographiques de Jones), nous permettent de penser que c’est surtout avec sa fille Anna, et à cause d’elle, que Freud a pu surmonter et inverser son attitude de jalousie et de rivalité infantile5 vis-à-vis de sa sour Anna, née quand il avait deux ans et demi. De la position infantile et captative de « fils jaloux » vis-à-vis de la « rivale » Anna de son premier áge, Freud est passé à la position adulte, paternelle et oblative envers Anna, sa collaboratrice et son soutien Bans le texte Cité, Freud interprète l’erreur de son patient (qui avait prononcé « Freund » au lieu de « Freud ») comme étant l’expression du désir d’être lui aussi un ami, un freund comme Anton von Freund qui hahitait dans sa même maison. Mais à mon avis, il y a lieu de voir id une surdétermination et des plus significat5. ce que Monsieur P. a voulu dire dans son transfert paterne] en évoquant la file de Freud, était, je pense, surtout ceci: « Moi aussi, je voudrais être un Freud, appartenir à votre famille être votre fils: alors, peut-être, vous auriez envers moi les mêmes sentiments que vous avez pour votre flue Anna!»
Cette tentative de reconstruction d’une mosaïque dont Freud ne flous a donné que quelques pièces montre que dans la situation de transfert et de contre.transfert qui paraît conditionner les phénomènes « psi » au cours d’une analyse, il faut toujours tâcher de considérer non seulement les éléments actuels et adultes, mais aussi le passé et l’enfance soit du patient, soit de l’analyste Bans un travail encore inédit, mais qui va être publié dans l’« International Journal of Psycho-Analysis » j’ai moi-même montré le rapport très nuancé d’un rêve télépathique d’un de mes patients, exprima une situation de revendications orales et d’abandon, avec ma propre situation ce temps-là, au cours de laquelle j’avais moi-même ressenti et réactivé des problèmes et des émotions du même ordre. Il ne m’est pas possible de résumer ici toutes ces données, que j’ai pu faire ressortir en détail et d’une manière, je pense, bien plus convaincante que ma tentative d’interprét0 de l’épisode décrit par Freud.
Il est toujours difficile et Lien des fois, peut-être tout à fait impossible, de déceler jusqu’au bout les données transférentielles et contretransféretielles qui out conditionné un phénomène «psi». Les obstacles qui s’y opposent sont dus: 1° aux résistances encore assez générales qu’ont les psychanalystes envers l’acceptation de phénomènes an sujet desquels on peut craindre de faire une régression vers la pensée magique de l’enfance: 2° an démenti que ces phénomènes donnent à l’image idéale de l’analyste « neutre » et qui a « complètement surmonté », dans la situation analytique, ses problèmes personnels; 3° à la reluctance que l’analyste peut avoir à reconnaître non pas seulement d’une façon superficielle, mais en profondeur, les motifs de ses attitudes contre-transférentiells·; 4° la difficulté, bien compréhensible des fois, qu’un analyste peut rencontrer lorsqu’il s’agit de communiquer, on de publier, des circonstances intimes de sa vie émotionnelle·; 5° finalement an fait, indiqué par Freud et confirmé en premier lieu par Hollos et par moi, que les « communications psi », dans l’analyse on ailleurs, tombent sous les lois du processus primaire et en suivent les mécanismes ce qui fait qu’il est bien rare qu’elles vous frappent, pour ainsi dire, directement à la figure. En général, ces communications se présentent sous la forme d’allusions, de métaphores, de symboles; elles peuvent être déplacées, inversées, condensées. Il faut done, pour les dépister, effectuer à leur égard un travail de redressement et d’interprétation, tout à fait analogue au travail analytique. C’est pourquoi on peut être à peu près sûr que la majorité des phénomènes Psi au cours d’une analyse échappent à tout jamais à l’observation!
Parmi les psychanalystes qui s’occupent de ces problèmes, il y a eu dans ces derniers temps des discussions assez vivaces quant à la nature essentielle du rapport transfert.contretra115rt qui peut donner lieu à des phénomènes psi. On s’est demandé, entre autres choses, si ce rapport est positif ou négatif; si on doit tâcher de le neutraliser, de l’ignorer, on de l’exploiter. Je résumerai en quelques mots mes points de vue.
A mon avis, le patient qui perçoit d’une manière paranormale des éléments appartenant à la vie émotionnelle de l’analyste, on qui peuvent s’y rapporter, manifeste vis-à-vis de l’analyste, d’une manière infantile, un amour qui n’est pas satisfait – ce qui place cet amour même sons le signe du ressentiment, de la plainte et de l’agressivité. A ce point de vue, et dans ces cas, le transfert n’est jamais ni positif ni négatif: il est ambivalent, comme l’est toujours l’amour peu ou tant frustré. Le sens de la « perception psi » dans l’analyse est celui d’une « intention épistémophilique » le patient, inconsciemment, vent pénétrer dans la « chambre secrète » de l’analyste, voir ce qu’il est en train de faire, lui montrer qu’il est au courant, détourner la libido de l’analyste et l’attirer davantage sur soi-même, lui reprocher enfin ce qu’il perçoit comme un manque d’amour, on comme de l’agressivité.
L’analyste, à son tour, parait se trouver dans les conditions les plus favorables aux manifestations Psi quand il est en train de trop refouler ce qu’analytiquement on pourrait appeler son «exhibitionisme parental»: c’est-à-dire, de soustraire – par le mécanisme du refoulement et non pas seulement par une « mise à cote » consciente – sa personnalité aux pulsions instinctuelles du patient-enfant (ce qui peut très bien arriver lorsqu’il a de forts intérêts ou des préoccupations extra- analytiques). L’analyste se flatte en effet de représenter le rôle du parent sage, qui «connaît», ou peut connaître, ce qui se passe dans la vie intime du patient-enfant (en satisfaisant ainsi entre antres, d’une manière sublimisée, ses mêmes pulsions epistémophiliques infantiles); mais il n’admet pas que l’enfant (c’est-à-dire le patient) puisse faire de même. Si ses intérêts extra-analytiques, et si son contretransfert, contredisent au delà d’une certaine limite sa bienveillance amicale, sa non-agressivité, et la concentration de sa libido désexualisée sur le patient, il offre à celui-ci l’opportunité de le «démasquer» par le truchement d’une communication psi.
Dans la situation décrite, ce n’est donc pas seulement l’appareil psychique du patient qui fonctionne d’une manière imparfaite, mais aussi celui de l’analyste; et les deux présentent en outre, pour ainsi dire, des défauts complémentaires. Or, il a été montré par Hollos et Servadio, et plus récemment par Ehrenwald, que les phénomènes Psi semblent justement se produire lorsque certains mécanismes de défense, psychologiques ou psychophysiologiques, destinés à protéger notre vie émotionnelle, fonctionnent mal, permettant ainsi quelquefois le rétablissement d’exutoires, on de moyens de communication, beaucoup plus primitifs, tels que la télépathie.
Il est bien évident que même l’analyste le plus neutre et le mieux analysé ne peut pas se soustraire totalement et toujours à ces possibilités. Je pense qu’il faut les envisager dans le cadre d’une situation interpersonnelle qui, de même que tonte situation humaine, est Lien loin d’un idéal de perfection. L’analyste parfait est un mythe; la neutralisation totale de tonte possibilité chez le patient d’avoir recours à un moyen archaïque, régressif, tel que la télépathie, pour communiquer avec lui, est un mythe elle aussi. Je suis donc d’avis que les analystes devraient tenir compte de ces éventualités, dues aux imperfections essentielles des conditions mêmes de leur travail, et se comporter vis-à-vis d’elles suivant les mêmes principes de franchise prudente et d’« humanisation » de la situation analytique, qui d’une façon plus générale sont en train de ramener sur la terre l’image, idéale autant qu’irréalisable, de l’analyste-écran, impénétrable et sans défaut.
Bibliographie
Ehrenwald, J.: “Telepathy in the Psychoanalytic Situation”, Brit. J. med. Psychol. XX, 1944.- Idem: Telepathy and Medical Psychology, W. W. Norton & Co., New York, 1948. – Idem: “Presumptively Telepathic Incidents During Analysis”, Psychiat. Quart., XXIV, 1950. – Idem: New Dimensions of Deep Analysis, George Allen & Unwin, London, 1954. – Eisenbud, J.: “Telepathy and Problems of Psychoanalysis”, Psychoanal. Quart., XVI, 1946. – Idem: “The Dreams of Two Patients in Analysis interpreted as a Telepathic Rêve a deux”, Psychoanal. Quart. XVII, 1947. – Idem: “Analysis of a Presumptively Telepathic Dream”, The Psychiat. Quart., XXII, 1948. – Freud, S.: “Traum und Okkultismus”, in Neue Folge derVorlesungen zur Einfuhrung in die Psychoanalyse (1932).- Gillespie, W. H.: “Extrasensory Elements in Dream Interpretation”, in Psychoanalysis and the Occult (ed. by G. Devereux), International Universities Press, New York, 1953. Hollos, I.: “Psychopathologic alltàglicher telepathischer Erscheinungen”, Imago, XIX, 1933. – Pederson-Krag, G.: “Telepathy and Repression”, Psychoanal. Quart., XVI, 1947. – Rabin, S.: “A Possible Telepathic Experience During Analysis”, in Psychoanalysis and the Occult, cit. – Servadio, E.: “Psychoanalyse und Telepathic”, Imago, XXI, 1935. – Idem: “A Presumptively Telepathic-Precognitive Dream During Analysis”, Internat. J. Psychoanal., XXXVI, Part I, 1955.
N.B.: Dans le volume cité, Psychoanalysis and the Occult (ed. by G. Devereux), International Universities Press, New York, 1953, sont recueillis tous les plus importants travaux psychanalytiques sur la question.
1)Congres International de Psychothérapie. Zurich, 20-24 juillet 1954